Depuis toutes ces années et tous ces endroits visités, dont certains très surveillés, il fallait bien que ça arrive. Nous avions évité plusieurs fois de justesse une rencontre directe avec les forces de l’ordre, que ce soit en France ou à l’étranger. Mais cette fois-ci nous n’avons pas pu faire autrement que de nous laisser emmener. Nous avons vécu notre première interpellation en exploration. Retour sur ce moment stressant et sur ses causes et conséquences.
Il est 18h00 passé quand nous retrouvons un autre groupe d’explorateurs. Fait assez rare, aujourd’hui le collectif Urbex.Me n’est représenté que par un seul membre. Nous sommes tout de même quatre à participer à l’opération de ce soir. Nous parlons d’opération, car nous avons décidé d’aller réparer une porte, pour éviter qu’une maison fraichement découverte ne soit trop saccagée.
Nous révisons un peu l’organisation et prenons rapidement la route pour aller rejoindre cette maison. Découverte il y a peu, elle a été visitée par plusieurs groupes, dont celui que nous rejoignons et qui a constaté sur place que la porte d’entrée avait été partiellement défoncée. C’est donc munis d’une visseuse et de vis à bois, en plus de nos appareils, que nous arrivons à proximité de la maison. Pourquoi réparer une porte qui n’est pas à nous ? Pour éviter que la maison ne soit trop vite pillée et cassée, et qu’un éventuel propriétaire ne s’énerve en voyant sa porte dégradée.
Après une petite marche d’approche de nuit en bord de route, nous passons par l’arrière et descendons simplement le chemin qui amène au portail du terrain. Le portail étant ouvert nous sommes rapidement dans l’enceinte. Le trou laissé dans la porte par des indélicats nous permet d’entrer très facilement. L’intérieur de cette maison ne laisse que peu de doute sur son état d’abandon. Il n’y a plus d’électricité, ça sent le moisi et le plafond du salon est en train de tomber. Pourtant, il reste une quantité de meubles et d’objets personnels impressionnante et tout est rangé. En fait la maison est entièrement meublée, prête à être habitée. Rapidement l’autre groupe se rend compte que des choses ont bougé depuis la dernière visite. Des meubles, des objets, mais aussi des fenêtres et des portes qui ont été refermées. Nous ne savons pas à ce moment précis si c’est l’œuvre de ceux qui ont cassé la porte, ou d’un propriétaire. Cependant nous avons un mauvais pressentiment. Mais nous sommes venus pour réparer, donc nous nous y attelons. Une grosse planche épaisse plaquée à l’intérieur de la porte vient renforcer la partie affaiblie. Solidement vissée elle retiendra les moins courageux. Une fois la réparation finie, nous effectuons tout de même une visite de la maison.
C’est à ce moment là que l’un d’entre nous remarque de la lumière sur le perron. Pensant d’abord qu’il s’agit d’un membre du groupe qui a fait le tour pour s’assurer que la réparation était solide, il ne s’inquiète pas des bruits sourds qui résonnent contre la porte. Mais les bruits s’intensifient, et voila que ça parle, fort. A cet instant la première question qui nous vient à l’esprit, c’est "est-ce un propriétaire énervé armé d’un fusil ? " ou " est ce un groupe de casseurs ? ". La réponse à la question nous est apportée rapidement quand nous entendons crier " GENDARMERIE " !
Une alarme retentit, et six hommes du PSIG (Peloton de Sécurité et d’Intervention de la Gendarmerie) entrent dans le couloir, lourdement équipés, arme au poing. Un "bang !!! " retentit assez près de nous et après une sueur froide nous réalisons qu’il s’agit d’un pistolet tazer, et non pas d’un 9 mm. Dans la confusion générale, l’un des gendarmes a visé en direction d’un explorateur qui partait en courant en vers la cave. Heureusement le coup n’a touché aucun d’entre nous. Nous éclairons nos appareils et annonçons " nous sommes photographes, photographes ! ".
Nous voila maintenant regroupés dans la salle à manger, le propriétaire fait son entrée, il est stoïque. Les gendarmes vident les sacs, nous fouillent, mettent de côté les outils et les accessoires sur lesquels ils s’interrogent.
A la question "que faites-vous ici ? ", nous expliquons la vérité qui est visiblement difficile à croire. Nous demandons à parler au propriétaire pour lui expliquer. Il accepte, mais ne veut pas nous croire. Pourtant à cet instant la porte est belle et bien réparée. Les gendarmes le constatent.
Nous sommes maintenant emmenés un par un au véhicule, puis conduits à la gendarmerie.
Le climat s’est apaisé depuis que nous avons montré le matériel photo et commencé à expliquer notre présence. Nous sommes auditionnés séparément, mais pas placés en garde à vue. Chacun donne la vraie version des faits. Au bout d’une heure, les intervenants se sont détendus, nous parlons franchement et pouvons même blaguer avec les gendarmes. Il est notamment "hors de question que nous soyons photographiés avec un compact Nikon sous une lumière néon, alors que nous avons ici tout le matériel pour faire de belles photos qui nous mettront à notre avantage" ! Nous réussissons même à parler de la pratique de l’exploration urbaine, et à montrer nos sites et galeries persos. Les gendarmes comprennent rapidement que nous ne sommes pas des casseurs, même s’ils ont encore du mal à comprendre ce qu’on peut trouver dans cette pratique.
Le commandant de la brigade nous informe que le propriétaire a porté plainte pour effraction. C’est un coup dur pour nous qui étions venus réparer, mais nous assumons notre présence sur les lieux et nous continuons à nous en expliquer. Le propriétaire explique que c’est la maison de son père, décédé il y a quelques années, qu’il reste quatre enfants qui ne s’entendent pas sur la succession, d’où la non-occupation du lieu.
Au terme de plusieurs heures de discussions les dépositions photos et empreintes sont prises, et les gendarmes nous raccompagnent à la sortie. Ils ne nous demandent pas de supprimer les photos de la maison... étrange. Pendant que nous sortons, le commandant nous glisse un signal positif, c’est lui qui sera chargé d’appeler le parquet pour présenter l’affaire et il fera ce qu’il peut pour présenter les choses de la meilleure façon. Nous décidons d’y croire et repartons avec un petit espoir. A ce stade-là, nous savons ce que nous encourons. Ayant été pris en flagrant délit, si la violation de domicile et l’effraction sont retenues, nous encourrons jusqu’à un an de prison et 15 000€ d’amende chacun. Nous sommes conscients que cette peine est un maximum et que nous n’écoperons pas d’autant, mais nous nous attendons tout de même à une condamnation pécuniaire. De toute façon nous ne pouvons plus rien faire, sinon assumer, et attendre.
La loi en matière de domicile est complexe, et les risques liés à l’exploration urbaines sont très flous. Malgré nos recherches nous ne savions pas trop quoi attendre du dénouement de l’affaire. Entre des gendarmes qui font correctement leur travail à charge et à décharge, et un propriétaire qui semble vouloir se faire payer une porte neuve, dur d’anticiper la décision de justice et de ne pas s’imaginer devant un juge.
Quelques jours plus tard, c’est un coup de fil du commandant de la gendarmerie qui nous apprend la nouvelle. Le parquet n’a pas retenu l’effraction suite aux constatations des gendarmes sur place, qui ont pris en compte le fait que nous avions réparé la porte. De ce fait, puisque nous n’avons commis ni effraction ni manœuvre de quelque sorte que ce soit pour entrer, et que la maison n’est plus habitée, le parquet ne retient pas non plus la violation de domicile. Il n’y a donc aucune charge qui puisse être retenue contre nous, si ce n’est pour l’un d’entre nous la possession d’une lacrymo qui lui vaut un simple rappel à la loi.
De cette expérience nous avons tiré quelques enseignements. Tout d’abord, la pratique "propre" telle que nous l’envisageons est le meilleur argument pour échapper à des poursuites, de même qu’une attitude adulte et responsable une fois que nous sommes "pris". Nous avons été sincères avec les gendarmes, nous avons répondu à toutes leurs questions sans détourner la réalité, même sur des questions sensibles telles que la présence d’un kit de crochetage ou d’une lacrymo. Ce sont certes des objets qui ont pesé contre nous, mais une fois leur utilité expliquée, ils n’étaient plus le point d’intérêt des enquêteurs.
Ensuite, nous sommes conscients d’avoir eu énormément de chance de tomber sur de vrais professionnels. Quand ils sont entrés dans la maison, ils ne savaient pas sur qui ils allaient tomber, en pleine nuit, avec quatre individus dans une maison, ils auraient pu faire usage de la force, voire d’une arme à feu. Et si ça c’était produit, nous aurions été les seuls fautifs.
Ce soir là nous avons cumulé tous les ingrédients pour finir en garde à vue, puis devant un tribunal. Ce ne fut pas le cas, ce dont nous sommes heureux. Nous allons maintenant réfléchir pour adapter notre pratique, et tâcher de prendre cela comme un avertissement...
17 commentaires
Bel article les gars, et bon état d’esprit. Dommage que le proprio n’ait été plus ouvert, mais bon c’est compréhensible.
Aujourd’hui, sur la page d’accueil "Urbex.Me", il y a un lien vers le spot "24h en Prison". Dois-je y voir un lien quelconque ?
J’ imagine que l’informaticien devait être déçu de ne pas avoir eut droit à la ballade en fourgonnette bleu ?
"Urbex.Me chez les Gendarmes" , c’est du beau ! Enfin, il me semble me rappeler que la femme du banquier était déjà recherchée par toutes les polices de Caroline du Nord...
Pour s’être fait arrêter en belgique , il faut effectivement la jouer réglo. De toute manière , on est crédible lorsque l’on dit que l’on fait de la photo et qu’a 3 on possède 4 appareils. Pas courir, obtempérer , et j’ai l’impression que tout ce passe bien la plus part du temps.
Le gendarme a bien voulu que tu photographies l’intérieur des locaux, y compris un gendarme ?
Oups, on a oublié de leur demander si on pouvait ;)
Bonjour, après avoir lu cet article j’étais un peu dépitée de voir comme tout ça est allé loin alors que vous aviez tout bien fait et même réparé la porte. Quelles sanctions avez-vous eu finalement ?
Au final aucune sanction, l’enquête a confirmé que nous n’avions pas cassé la porte mais au contraire que nous l’avions réparée, la maison n’étant pas habitée il n’y avait pas non plus de violation de domicile, juste une grosse frayeur :)